szenikmag a rencontré Lee Fou Messica, directrice de l’Espace Bernard-Marie Koltès à Metz. Ensemble nous parlons de la création du Prix Bernard-Marie Koltès – Prolonger le geste, des défis auxquels les jeunes auteurs doivent faire face aujourd’hui et d’une saison remplie de réalités et de rêves.
Comment vous est venue l’idée du
Prix Bernard-Marie Koltès – Prolonger le geste ?
Quand je suis arrivée à la direction de l’Espace Bernard-Marie Koltès – Metz, j’ai hérité des compagnies et des projets qui étaient déjà en cours, ce qui m’a permis de rencontrer beaucoup d’artistes. Mais je me suis rendue compte que c’est important pour un lieu et pour un directeur / une directrice de travailler avec ses artistes et non pas juste être là comme un lieu d’accueil. C’est bien d’être un lieu d’accueil, de diffusion, mais c’est très important de porter un projet. Quand on porte un projet avec une compagnie, on inclut davantage l’équipe depuis le début. Étant sur le Campus avec les étudiants et entourée du public, cela me paraissait essentiel d’avoir ce mécanisme de création.
De fil en aiguille l’idée du Prix est venue. Et avec la notion de l’appellation « Scène conventionnée d’intérêt national – Art et Création » qui arrive, la notion Prix Koltès s’est invitée. François Koltès (frère de l’auteur dramatique Bernard-Marie Koltès) a accueilli le projet avec grand intérêt. Le projet s’est évidemment créé avec les complices de Quai Est-Biennale Koltès, qui est l’association historique sur Metz et qui soutient l’œuvre de Bernard-Marie Koltès.

Ce projet gagne en importance dans la situation actuelle. Les autrices et auteurs sont complètement oubliés, parce qu’il n’a y pas de spectacles, pas de spectateurs, pas de billetterie, pas de droits d’auteurs. Déjà la culture est oubliée, mais alors les auteurs encore plus ! C’était tout ça qui a concouru à se dire que « Nous avons envie d’une démarche vis-à-vis de ces auteurs. ». C’est vraiment pour ainsi dire une position politique. En même temps il ne s’agit pas de prouver quoi que ce soit ; moi en tout cas j’ai envie d’accompagner les auteurs et ça correspond totalement au projet de l’Espace BMK.
Peut-on dire que le texte se trouve au coeur de votre sélection de spectacles ?
Totalement. Souvent on me parle d’écriture de plateau. Alors oui, il y a un texte quand il y a une écriture de plateau, mais ce n’est pas ça qui m’intéresse et ce n’est pas l’objet de ma mission. L’appellation qui a été choisi pour la Scène conventionnée, c’est vraiment « nouvelles écritures dramatiques fictionnelles » , ce qui sous-entend qu’un texte est préexistant. Alors, évidemment, quand un texte est créé, il peut être revu quand il est sur le plateau. Mais il faut que la base existe ; l’idée n’est vraiment pas de porter des écritures qui s’inventent au fur et à mesure.
J’assume totalement la notion de « texte ». Rien qu’avec le texte on peut déjà faire appel à l’imaginaire. L’imaginaire est vraiment l’essentiel de mon projet artistique. « Rêver et développer son imaginaire » parce que c’est grâce à lui qu’on arrive à affronter le réel. C’est parce qu’on aura puisé sa force dans l’imaginaire, dans le rêve qu’on peut sans problème revenir à la réalité, mais en étant plus fort.
Est-ce que ce Prix permet une redéfinition de la place d’un auteur dans le cadre de la création d’une pièce de théâtre ?
Oui. L’auteur est essentiel, mais pour moi le metteur en scène est aussi un auteur. Donc il y a l’auteur du texte et ensuite l’auteur de la mise en scène.
Y-a-t-il une nouvelle vague d’écriture dramatique qui emèrge ?
Je pense qui oui. Il y a un potentiel énorme en terme d’auteurs, il y a également des collectifs d’auteurs qui existent – le collectif « Lumière d’août » par exemple avec Marine Bachelot. Si l’on s’en réfère également à la dernière session de l’association Beaumarchais-SACD ; il y a énormément de jeunes auteurs qualitatifs qui se disputent les premières places, ce qui fait vraiment plaisir à voir.
Y-a-t-il des sujets ou des thématiques abordés davantage par les jeunes auteurs ?
Dans ma programmation j’ai choisi trois axes : la société, le corps, la notion d’étranger. À chaque fois, on pourrait trouver un lien avec ces trois thématiques. Ce sont souvent les mêmes problématiques qui sont abordés, mais sous différents prismes qui abordent les notions de l’identité ou des normes.
Quand on parle de la notion d’étranger, c’est souvent pour essayer d’amener les gens à s’interroger afin de mieux l’appréhender et de ne plus en avoir peur. Il y a toujours ces notions-là qui sous-tendent les écritures. Quant au sujets, il y a des prétextes qui sont le point de départ.
J’ai l’impression que le panel de thématiques est très large chez les jeunes auteurs et ça fait plaisir à voir. Souvent la réaction qu’on pourrait avoir c’est de se dire que la jeunesse est inconsciente, mais ce n’est pas vrai, tout au contraire ! Je trouve justement qu’ils se posent beaucoup de questions et on ferait bien de les écouter ! Dans chaque époque on critique toujours un peu la jeunesse, mais elle est ce qu’elle est avec ses envies et ses rêves. C’est ça qui faut arriver à protéger, parce que si on n’a pas de rêve, on meurt. C’est comme un cercle vertueux ; il faut encourager la jeunesse à s’exprimer.
Quels sont les défis auxquels les jeunes auteurs doivent faire face aujourd’hui ?
J’ai bien peur qu’ils soient partout. C’est vrai qu’il y a un vrai travail en terme de politiques culturelles qui permet, dans le cas d’une Scène conventionnée, d’accompagner des écritures. On a quand même cette chance en France.
Mais les défis sont multiples : d’abord il faut écrire sa pièce. Parfois on peut avoir l’idée et des choses à dire, mais pas forcément la faculté ou la possibilité de les mettre en formes. Je trouve que c’est bien qu’il y ait un grand nombre d’ateliers d’écritures qui permettent aussi à des amateurs et des particuliers d’avoir accès à des bases. Donc ça, c’est déjà le premier niveau : avoir accès à cette expression-là.
Après, il y a des auteurs qui ont des urgences plus sociétales. À ce moment-là, le défi est de trouver un écho chez des lecteurs, des metteurs en scène, puis une compagnie, car un auteur a besoin d’être lu, sinon son manuscrit reste lettre morte.
Puis, une fois qu’on a trouvé le projet, les comédiens et la compagnie, il y a la question du financement et du lieu. Car concrètement ce qui est nécessaire pour un spectacle, c’est de pouvoir être vu le plus possible.
Je pense qu’il y a une véritable économie culturelle, même si j’ai l’impression d’utiliser des gros mots quand je dis ça… Le lieu que j’ai dirigé avant de venir à Metz a été conventionné et subventionné pendant plus de 15 ans, puis les politiques ont changé. Il y a eu la décentralisation et on a dû faire sans soutien. Et c’est là où on prend conscience que c’est très important que le projet puisse quelque part générer des profits, et pouvoir au final venir nourrir un autre projet.
Il ne s’agit pas de profits au sens capitaliste, mais d’avoir une certaine rentabilité qui est destiné à un nouveau projet. Si la vie d’un projet est de 36 mois (entre la création, peut-être des représentations au Festival d’Avignon et puis une tournée), on peut imaginer qu’il s’est concrètement passé quelque chose pour ce projet. Non seulement il a trouvé un public, mais en plus il a généré suffisamment de retours sur investissement pour pouvoir imaginer un second projet. Il faut distinguer la notion de « profits capitalistes » et « profits » dans le domaine de la culture, ce n’est pas la même chose. C’est surtout la façon dont on réinvestit les profits à destination d’un autre projet.
Et c’est vrai que, toutes ces démarches sont compliquées pour un jeune auteur.
Le jury de ce Prix réunit des professionnels, des étudiants et des spectateurs. Quel est le but de ce choix ?
Je me suis dit que c’était dommage d’aller directement sur un jury uniquement professionnel. Toujours dans l’idée de la jeunesse, je trouvais intéressant d’inclure des étudiants en voie de professionnalisation. L’idée est vraiment d’être sur des étudiants de Master qui sont en dernière ou en avant-dernière année, et qui ont déjà une certaine expérience et se destinent à ce métier-là.
Évidemment il y a le jury professionnel qui vient donner aussi une caution importante pour les auteurs. Car parfois, et là je reviens sur la question précédente, on a un super projet, mais si personne n’est au courant, il ne peut pas se réaliser. Donc cette caution pourrait être d’une grande aide. L’idée, quand nous avons demandé à ces personnes de faire partie du premier jury, c’est aussi d’être bienveillant. La bienveillance de ces personnes qu’on estime et qu’on peut admirer quand on est jeune auteur ou débutant est importante.
Quant au prix du public : je pense que ce serait dommage s’il n’y avait qu’un seul prix. C’est pourquoi cinq personnes auront la chance de voir leur texte mis en lecture.
La parole du public est vraiment très importante et je pense que ces trois jury créeront un équilibre.
Comment choisissez-vous les spectacles de votre programmation ?
Il est vrai que je reçois en général beaucoup de propositions par mail. Donc jusqu’à présent je n’avais pas forcément besoin d’aller chercher des projets ; j’avais toujours la chance qu’ils viennent à moi. Mais ce n’est pas évident de faire des choix. À partir du moment où on choisit, on se prive d’autres. C’est cruel pour des projets. Au début quand je suis arrivée et quand je ne connaissais pas encore les compagnies de la région de Metz, de la Lorraine et du Grand Est, j’avais lancé un appel à candidatures et nous avons été submergé de propositions. C’était chouette ! Du coup j’avais choisi des projets qui m’ont permis finalement de remplir même deux saisons.
Comment se construit la saison de
l’Espace Bernard-Marie Koltès ?
J’essaie de les construire autour de mes thématiques : la société, le corps et la notion d’étranger. Chaque saison c’est un prisme différent. La première saison c’était plutôt la famille, l’héritage. La seconde c’était la société du point de vue du système financier. Et cette année c’est autour des médias, de leur influence, des fake news, etc. La saison prochaine va s’axer autour de la violence.
Pour le corps c’était pareil ; c’était la question des normes, de l’identité. La saison prochaine les sujets vont porter sur l’alimentation, la nourriture – aussi bien terrestre que céleste. La notion d’étranger apporte beaucoup de déclinaisons possibles. Cela m’aide à flécher les choses.
Nous avons remarqué de jolis retours sur cette façon de faire. Les enseignants trouvent vraiment leur bonheur là-dedans. Avec mes collègues nous avons fait un très grand travail autour des scolaires, ce qui fait par exemple qu’on avait déjà 2000 réservations de scolaires en début d’octobre ! Cette notion de thématiques aident les enseignants qui peuvent les inclure dans leurs propres projets pédagogiques.
Après, je lis toujours le texte – même quand j’ai vu le spectacle – et c’est toujours le texte qui est au cœur de mes préoccupations. C’est vraiment une étape indispensable.
Je voudrais ajouter une chose : le métier de directrice artistique ne consiste pas à programmer des spectacles attendus mais au contraire de bousculer un peu, de titiller ses publics avec des projets qu’ils ne seraient pas aller découvrir par eux-mêmes.
Quels sont les critères qui vous permettent de faire cette sélection ?
Le propos et ce que le texte défend m’apportent beaucoup. Je ne peux pas prendre un projet qui manque de fond, il faut vraiment que ça m’accroche sur l’engagement. Dans certains cas il m’est arrivé de porter des projets qui avaient des défauts, car c’était des premiers projets… mais ils exprimaient quelque chose.
Parfois quand je dois défendre ma programmation et que j’explique que c’est un texte sur la mort ou la maladie, ce n’est pas gagné. Mais il faut toujours arriver à trouver un axe pour convaincre les gens qui, au final, une fois qu’ils ont vu le spectacle, portent un nouveau regard sur le sujet.
Pourriez-vous nous parler du sujet proposé aux participants de cette première édition du
Prix Bernard-Marie Koltès – Prolonger le geste ?
J’aime beaucoup la phrase qui a été choisi : « On est une abeille qui s’est posée sur la mauvaise fleur. ». Elle me parait tellement riche ! C’est une phrase très poétique qui se trouve dans la pièce « Dans la solitude des champs de coton » de Bernard-Marie Koltès. J’aime l’idée qu’il y a toujours la possibilité de s’en sortir, même si c’est parfois difficile et compliqué. Il y a toujours de l’espoir. Et là je me réfère aux textes du sociologue Didier Eribon et de l‘écrivain Édouard Louis sur l’héritage naturel et le poids social.
Et c’est ce message que j’ai envie de transmettre aux participants.
Prix Bernard-Marie Koltès – Prolonger le geste
1ère édition
Concours d’écriture
Date limite de dépôt des textes : 15 avril 2021, à minuit
Le site : www.ebmk.univ-lorraine.fr
Facebook : https://www.facebook.com/prixkoltes.metz
szenik : www.szenik.eu
Interview réalisée par j. lippmann l le 14 janvier 2021
Photo : Lee Fou Messica