Szenik a posé quelques questions à Stanislas Nordey, directeur du TNS, metteur en scène et interprète, sur son lien singulier avec Falk Richter et cette nouvelle création que nous avons hâte de découvrir.
Pour sa nouvelle pièce THE SILENCE, l’auteur-metteur en scène allemand Falk Richter entreprend, en collaboration avec l’acteur Stanislas Nordey, des recherches sur l’histoire de sa propre famille. Un voyage dans son passé le ramène dans la maison de ses parents, qu’il a quittée il y a plus de 30 ans, suite à son coming out. Le père est mort sans qu’une réconciliation avec son fils n’ait eu lieu. Mais le fils veut enfin briser le silence qui régnait dans cet endroit. Il commence une discussion avec sa mère qui le replonge dans l’enfer de leurs jeunesses à tous deux, la sienne et celle de sa mère. Ce voyage dans les gouffres de la société occidentale qui va de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui révèle une histoire persistante de la violence et la dureté qui rend impossible un avenir plus humain, choisi.

Dans cette maison d’auteur, comme nous aimons définir le TNS, agite et écrit en ce moment l’auteur Falk Richter. La Première ayant lieu dans une semaine, nous ne pouvons pas nous empêcher de demander : comment ça va ? Que ressentez-vous en voyant cet auteur agir, prendre du recul, tenter, exploser et remplir les murs du théâtre avec ses mots ?
Le premier spectacle que j’ai présenté à mon arrivée au TNS était Je suis Fassbinder (2016). Au moment de sa programmation, le spectacle n’était pas écrit. Il s’agissant vraiment de prendre le risque de la création. J’ai toujours été à cet endroit-là : je respecte le patrimoine, mais ce n’est pas ce qui me passionne le plus. J’ai essayé au TNS de toujours laisser la place à l’écriture contemporaine et Falk en est un formidable représentant.
The Silence sera présenté du 1er au 8 octobre à Strasbourg. Comment cette création s’intègre-t-elle dans cette saison du TNS ?
C’est ma dernière saison au TNS. Avec cette création, j’avais envie de boucler la boucle. Je suis arrivé avec Je suis Fassbinder et je termine avec The Silence comme un au revoir joyeux et engagé.
Falk écrit sur l’actualité, sur ce qui se passe autour de nous. Quand il parle des souvenirs de la guerre de son père, qui a eu 17 ans lors de la Seconde Guerre mondiale, il fait tout de suite un parallèle avec les jeunes soldats mobilisés actuellement en Ukraine. Comme son père, ces jeunes vont porter le traumatisme de cette guerre durant toute leur vie.
J’aime que les textes de Falk soient liés à notre présence, à ce qui nous arrive, comme la catastrophe écologique. Le spectacle se finit au fond de la mer, à 2000 mètres de profondeur, dans l’Océan Arctique, avec un requin qui nage dans ces profondeurs et qui, peut-être, nous survivra. Voilà, cette création permet d’ouvrir et de fermer un cycle.
Votre coopération et votre intérêt pour l’écriture de Falk remonte au début des années 2000. Pourriez-vous nous parler davantage de ce parcours, de cette relation ?
Falk est un frère. Nous avons des vies très différentes : notre enfance n’a rien à voir. Dans la pièce, il parle de tous les non-dits avec sa mère, c’était le contraire chez moi. Ma mère me disait tout et me confiait tout. Cependant, Falk et moi sommes très proches. Nous avons les mêmes préoccupations sur le théâtre, c’est-à-dire faire un théâtre d’aujourd’hui, un théâtre pour aujourd’hui, un théâtre qui s’adresse à toutes les générations, notamment aux jeunes générations. C’est sur ce point-là que nous nous sommes retrouvés et reconnus dans l’autre pour la première fois. Puis, nous avons les mêmes gouts en termes d’auteurs contemporains et de littérature dramatique.
J’ai connu Falk car j’ai fait un premier spectacle au Festival d’Avignon qui s’appelait Das System (2008) et qui faisait finalement écho à un travail qu’il avait réalisé à la Schaubühne à Berlin. Je trouvais sa démarche très intéressante, car il était à la fois dans l’écriture, la projection documentaire et des soirées où il invitait les publics : je trouvais que c’était une démarche singulière. Pendant six mois, j’ai décidé de travailler toute son œuvre avec un groupe de comédien.ne.s. Pendant les répétitions – et pour nourrir le travail – j’ai demandé à Falk s’il avait d’autres textes à me donner, par exemple son journal intime. Quand j’ai lu son journal, j’ai eu l’idée d’un second spectacle. Me reconnaissant dans ses préoccupations artistiques et politiques, l’idée de jouer Falk Richter m’intriguait – de jouer Falk Richter, d’être sa voix.
C’est ainsi que le projet My Secret Garden (2010) est né. Pendant cette création, Falk me confiait que la découverte de l’œuvre de Fassbinder avait été très importante pour lui et que cela avait changé quelque chose dans sa vie. C’est comme ça qu’est né Je suis Fassbinder.
Alors, nous menons chacun des chemins différents et puis nous avons ces rendez-vous ponctuels où nous nous retrouvons et où nous faisons, d’une certaine manière, artistiquement le point sur nos vies. Par exemple, depuis Je suis Fassbinder mes parents sont décédés, le père de Falk également : la vie bouge et on avance ensemble parallèlement.

Dans les textes de Falk Richter, on ressent en général une urgence. Une urgence de réagir au monde, à ses catastrophes, aux systèmes qui déraillent, aux problèmes sociaux. Dans The Silence, il nous emmène dans l’Allemagne des années 1950 jusqu’à aujourd’hui. Vous, ayant le même âge que Falk Richter, vous viviez, à la même période, de l’autre côté de la frontière. Votre ressenti sur cette Allemagne brisée, est-ce un sujet entre vous ?
J’ai une connaissance plus lointaine de l’histoire allemande. J’en ai la vision que nous avons ici en France, même si on essaie d’aller au-delà bien évidemment. Il y a beaucoup de choses que Falk me raconte, notamment sur les années 1950 et 1960, dont je n’avais pas conscience. Mais, comme Falk écrit en ce moment en France, il me pose beaucoup de questions sur ce qui se passe actuellement dans notre pays : quels sont les débats actuels ? Qu’est ce qui intéresse les gens en ce moment ?
Durant la création de Je suis Fassbinder, je lui avais beaucoup parlé de la situation politique, de la montée de l’extrême droite, de Marine Le Pen… Il avait écrit des choses là-dessus. Cette fois, nous avons beaucoup parlé des scandales qui ont eu lieu notamment dans les EHPAD.
Avec Falk, c’est à la fois une histoire d’amitié et de travail. On se parle sans travailler ensemble, donc forcément les choses déteignent et s’interpénètrent. Et puis, en création, nous avons en général un dialogue joyeux sur le texte.
Dans The Silence, vous allez interpréter Falk Richter, porter sa voix, ses souvenirs. Malgré cette amitié qui vous lie, l’avez-vous étudié pour vous approcher le plus possible de sa personnalité ?
J’ai la chance que plusieurs auteurs écrivent pour moi. Comme Pascal Rambert qui m’écrit des personnages qui lui ressemblent, Wajdi Mouawad ou encore Édouard Louis. J’aime bien ça. Je les incarne, je sais un peu qui ils sont donc je leurs vole des choses. Et, en même temps, je ramène les choses le plus possible à moi. Je me sens un peu comme au cinéma, quand un acteur devient, par exemple, la voix de Silvester Stallone. Personnellement, j’ai l’impression d’être la voix française de Falk Richter. Je suis porteur de ce qu’il est, de son imaginaire.
C’est un véritable plaisir de porter sa voix. J’aime beaucoup son écriture, c’est une langue que j’aime et que je comprends. Puis il y a le plaisir de l’acteur aussi : dans les spectacles de Falk, on travaille à la fois sur l’émotion, la comédie, la fantaisie, le délire, les choses plus profondes. Pour un acteur c’est un travail très agréable.
Dans son texte Un sentiment de vie, l’autrice Claudine Galea parle de sa relation avec son père et évoque un échange avec Falk Richter. Ce dernier, en travaillant sur le lien avec ses parents, laisse évidemment penser à Édouard Louis. Des hasards heureux ?
Ces rebonds sont très intéressants. Je crois que Falk n’aurait peut-être pas écrit ce texte s’il n’avait pas travaillé sur Combats et métamorphoses d’une femme d’Édouard Louis. C’est ce qui est beau chez les artistes : ils se répondent.
Claudine Galea a écrit Un sentiment de vie* à partir de My secret garden. Elle s’est mise elle-même à parler de sa relation avec son père car elle a été frappée par le geste artistique de Falk dans My secret garden. J’aime bien ce dialogue invisible entre les artistes.
*Un sentiment de vie sera présentée du 17 au 27 janvier 2023 au TNS
Que souhaitez-vous aux publics du The Silence ? Une soirée dans les profondeurs de l’histoire, de l‘intime ?
Sortir en étant ému.e, en ayant rigolé et en se posant des questions sur leur propre rapport à leur enfance. C’est le théâtre que je défends : un théâtre de divertissement de la pensée. Un théâtre qui permet à la fois de passer un bon moment mais qui, en même temps, nous interpellent et nous interrogent.

The Silence
Du 1er au 8 octobre 2022 au Théâtre National de Strasbourg
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Texte & mise en scène Falk Richter
Traduction Anne Monfort
Avec Stanislas Nordey
Et à l’image Falk Richter, Doris Waltraud Richter
Interview : j. le goff
Le 22 septembre 2022, en visioconférence
Photo : Jean Louis Fernandez