Rencontre avec Baptiste Hilbert, danseur, chorégraphe et co-fondateur de la plate-forme « AWA – As We Are ». Cette initiative luxembourgeoise met en lumière des jeunes artistes internationaux et crée des ponts entre la pratique amateur et le monde professionnel.
❗️Représentations le samedi 29 janvier 2022 au Kinneksbond, centre culturel Mamer.
Plus d’informations : www.szenik.eu
Pourquoi avoir choisi de créer cette plate-forme ? Y-a-t-il des besoins particuliers au Luxembourg dans le domaine de la danse contemporaine ?
À l’origine, AWA est une compagnie de danse conventionnée, depuis peu, par le ministère de la Culture au Luxembourg. La compagnie est menée par moi-même (Baptiste Hilbert) et Catarina Barbosa. En créant cette plate-forme, nous souhaitions aller au-delà de la création chorégraphique et créer quelque chose de différent au service de la création en danse contemporaine. Nous avons donc décidé de créer un festival de danse contemporaine qui permettrait de fédérer des danseurs amateurs et le monde professionnel afin de combler le fossé qu’il y a entre ces deux mondes. Le constat était simple : la danse est une pratique très répandue mais il y un écart important entre les danseurs amateurs et le domaine de la création dans un contexte professionnel. Cela tient notamment de la distinction qui est faite entre la pratique sportive et la pratique artistique. Cette opposition amène parfois à oublier que la danse est également un art. Il y a, chaque année, des milliers de nouveaux élèves dans les écoles de danse mais peu sont informés sur ce qui se passe sur la scène luxembourgeoise. Avec la plate-forme AWA, nous souhaitons faire des ponts entre la dynamique de médiation et de diffusion des créations en danse contemporaine et les danseurs amateurs.
Quelles sont les actions concrètes de la plate-forme ?
Tout d’abord, la plate-forme AWA est associée à la CND Luxembourg : la Confédération National de la Danse au Luxembourg. Cette confédération a été créée en même temps que notre compagnie, en 2015. Ce projet regroupe plusieurs écoles de danse amateure au Luxembourg, que ce soient des conservatoires ou des écoles privées. L’objectif est de fédérer et d’organiser des activités dans lesquelles les danseurs amateurs peuvent se rencontrer et échanger. Nous nous associons donc à cette initiative afin de mobilier des danseurs amateurs. Nous faisons notamment une sélection de jeunes danseurs issus de la CND afin de participer à la création d’une pièce chorégraphique. Ces jeunes forment la Junior Company. Ils ont donc passé une audition puis ont été sélectionnés pour former cette Junior Company. Cela permet de proposer une pratique plus intensive et de faire des liens avec le monde professionnel. Ce projet, né en 2021, a permis aux jeunes de monter sur la scène du Grand Théâtre du Luxembourg mais aussi de mener une création avec le répétiteur du ballet du Grand Théâtre de Genève. Actuellement, ils travaillent avec Jill Crovisier sur une nouvelle création qui sera présentée ce samedi 29 janvier 2022 au Kinneksbond. Ce type de projet permet clairement de faire des ponts entre la pratique amateur, le grand public et le monde professionnel de la danse contemporaine.
Ensuite, du 24 au 29 janvier 2022, nous proposons, dans le cadre de la plate-forme, des workshops à destination des professionnels et des amateurs (le week-end) avec les compagnies invitées à la soirée de représentation du samedi 29 janvier 2022. Les compagnies proposent des workshops autour de la création qu’ils sont venus présenter. L’objectif est de proposer des workshops qui se centrent sur le processus de création. Ainsi, cela passe, certes, par un apprentissage d’extrait de leur pièce mais également par des exercices qui contribuent à la création du spectacle. Par exemple, un chorégraphe a monté un spectacle en se basant sur des improvisations ciblées, en studio. Il proposera donc aux participants des workshops avec la même thématique d’improvisation ciblée.
La plate-forme AWA est « européenne », faites-vous des coopérations avec d’autres pays ? Comment cela se déroule-t-il ?
Le Luxembourg est un pays un peu enclavé artistiquement mais il se donne les moyens de ses ambitions. Nous avons à cœur de parler de nos créations à l’échelle européenne mais également d’inviter des compagnies issues d’autres pays européens. Nous proposons, cette année, une production portugaise, une production britannique et une production suisse. L’objectif est également de proposer à des danseurs professionnels luxembourgeois des workshops intensifs avec des danseurs de renommée internationale. Par exemple, cette année, nous invitons Jasper Narvez de la compagnie Agram Kahn ainsi que Erez Zohar, danseur à la Batsheva (Tel-Aviv). Ils proposeront des workshops spécifiques pour les danseurs professionnels mais également un workshop le week-end à destination des danseurs amateurs. Nous considérons que les amateurs doivent tout autant avoir l’opportunité de pouvoir travailler avec ces intervenants de renoms.
Et puis…tous les workshops sont gratuits ! C’est un point qui mérite d’être souligné car c’est plutôt rare, surtout lorsqu’il s’agit de workshops à destination des professionnels. Notre partenaire le Trois C-L (Centre de Création Chorégraphique Luxembourgeois) propose déjà, depuis des années, ce type de workshops gratuits et nous avons décidé de maintenir cette politique de la gratuité.
Inviter des compagnies issues de plusieurs pays d’Europe permet de percevoir des différences culturelles dans la pratique et l’interprétation de la danse contemporaine. En tant que danseurs, nous remarquons rapidement que, dans certains pays, il y a des visions plus conceptuelles de la danse alors que d’autres envisagent le mouvement de manière plus traditionnelle : c’est passionnant et c’est une vraie richesse !
Quatre pièces sont proposées à l’occasion de la soirée du 29 janvier 2022 au Kinneksbond, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Tout d’abord, la programmation de la soirée du 29 janvier 2022 au Kinneksbond se compose uniquement de jeunes créateurs, autrement dit des chorégraphes qui ont, au maximum, cinq créations professionnelles à leur actif.
Elsa Couvreur, qui arrive de Suisse, vient présenter The Sensemaker. Il s’agit d’un solo dans lequel la danse n’est pas le médium principal. C’est ce que l’on nomme du physical theatre : la danse se mêle au théâtre. Ce n’est pas du théâtre parlé, il n’y a pas de textes mais on retrouve une véritable expression théâtrale. Elsa Couvreur y dévoile un humour très décalé pour évoquer les paradoxes administratifs et les absurdités de la bureaucratie. C’est une œuvre très satirique.
Puis, il y a Faustless de Margarida Belo Costa, une chorégraphe portugaise. Elle présente un trio qui traite des personnages féminins de l’œuvre de Faust. Elle cherche à mettre l’attention sur le féminin de cette oeuvre par une dramaturgie accès sur le mouvement.
Ce soir-là, nous présentons un autre trio : The Nutcrusher. Il s’agit d’une pièce de Sung Him Her, une artiste sud-coréenne basée au Royaume-Uni. Cette pièce traite du mouvement #metoo en Corée du Sud et de la répression que ce mouvement a subi. C’est une pièce particulièrement renommée car elle fait partie des pièces sélectionnées lors du concours Aerowaves (célèbre concours de danse contemporaine en Europe pour les jeunes créateurs).
Enfin, la création de Jill Crovisier pour la Junior Company CND Luxembourg sera également sur scène. Onnanoko – Traces of Youg Women fait des liens entre la jeunesse féminine et l’évolution de la culture japonaise.
Pourquoi AWA – As We Are ?
AWA est, à l’origine, le nom de notre compagnie. Cela vient de la personne qui m’a donné envie de faire de la chorégraphie : Ben Wright, un chorégraphe anglais. Lorsque j’étais au Royaume-Uni, j’ai vu une de ses créations qui s’appelait « Just As We Are ». Ce spectacle a été très marquant pour moi et m’a donné envie de faire de la création.
« As We Are » c’est aussi une marque de la diversité qui, selon moi, définit la danse contemporaine. C’est un art très ouvert qui présente peu de barrières, notamment d’un point de vue de la langue. C’est un art très accessible qui parle a beaucoup de monde, qui que l’on soit.
Quelles sont vos espérances aujourd’hui en ce qui concerne la création dans le domaine de la danse contemporaine ?
Je pense qu’il y a encore beaucoup de place pour la médiation avec les publics au Luxembourg. C’est à nous de multiplier les initiatives pour créer du lien car la demande n’est pas pleinement satisfaite.
En ce qui concerne la plate-forme AWA, nous souhaiterions proposer une forme de biennale en faisant davantage de travail en amont, notamment en termes de communication et de médiation. Puis, nous comptons également développer l’initiative au niveau européen en lançant des appels à participation aux compagnies. Aujourd’hui, nous nous chargeons d’inviter des compagnies mais nous souhaitons enrichir la visibilité du projet par des appels à projets.
Pourquoi la danse contemporaine ?
Avec la compagnie AWA, nous nous intéressons à la notion de perspective. Nous cherchons à comprendre et à retranscrire comment un sujet peut avoir un impact et une représentation différente en fonction de la connaissance qu’on en a et de la position dans laquelle nous nous trouvons. C’est une problématique qui me fascine car je remarque que des sujets extrêmes peuvent ne pas avoir la même résonance en fonction de l’endroit où l’on se trouve. Par exemple, la frontière entre la résistance et le terrorisme et toutes les questions liées au fake-news prennent leur justification dans la perspective que les gens en ont. Selon moi, multiplier les perspectives permet d’aborder n’importe quel sujet de manière plus apaisé. Cela reste tout de même complexe car il devient très difficile pour nous de prendre des positions concrètes car nous pouvons vite être considérés comme radicaux. Je suis cependant convaincu qu’il est important de pouvoir se positionner par rapport à ses propres idéaux. Tout cela créé une grande complexité qui est passionnante. La danse contemporaine est, selon moi, le médium qui a le moins de frontières et qui peut pleinement incarner la complexité et la diversité de ces perspectives.
Ce projet s’effectue en partenariat avec le Kinneksbond, Centre culturel Mamer, le Trois C-L, la compagnie AWA et la CND Luxembourg.
Interview réalisé le 20 janvier 2022 par Chloé Lefèvre
Visuel : Plate-forme AWA