À l’occasion du 60ème anniversaire du jumelage de Stuttgart avec la ville européenne de Strasbourg, l’Orchestre de chambre de Stuttgart (Stuttgarter Kammerorchester, SKO) a développé un nouveau projet : Resonanz. Il s’agit d’une installation unique mêlant musique, art et d’animation en réalité augmentée et constitue, par la même occasion, un lieu de rencontre et d’expérience interactive pour toutes et tous. Szenik s’est entretenu avec Jana Günther, conceptrice et réalisatrice du projet Resonanz, sur la genèse du projet, le développement des projets culturels et la numérisation dans le domaine de la musique classique.
Du 24 septembre au 31 octobre à Strasbourg (Palais de la Justice – Quai Finkmatt)
Site web : www.sko-resonanz.com
Comment est née l’idée du projet Resonanz ?
L’hiver dernier, j’ai découvert le livre Résonance – Une sociologie de la relation au monde de Hartmut Rosa dans une librairie. J’ai trouvé ce titre très inspirant. Alors que je me trouvais à la caisse, une femme m’a abordé et m’a demandé si nous pouvions nous rencontrer un jour pour parler de cette œuvre. Cela ne m’était encore jamais arrivé !
Dans cette œuvre, Hartmut Rosa aborde le thème de la résonance, c’est-à-dire les résonances dans notre corps, les résonances dans la musique, les résonances de la société… Même si notre projet ne s’appuie pas sur cela, c’était une véritable inspiration pour la phase initiale de création.
Comment la coopération avec l’Orchestre de chambre de Stuttgart a-t-elle vu le jour ?
Resonanz est mon deuxième projet avec l’Orchestre de chambre de Stuttgart. Nous nous sommes rencontrés en 2019 et la collaboration est tout simplement fantastique ! Le directeur, Markus Korselt, est tellement passionné par la numérisation et les nouveaux médias qu’il a été très ouvert à mon idée de projet musical gratuit dans l’espace public.
Nous parlons toujours de toucher de nouveaux groupes cibles : ici, il ne s’agit pas de produire un flyer aux couleurs fluo et attirantes mais plutôt d’emmener de nouveaux spectateurs à l’endroit où ils se trouvent et, actuellement, c’est l’espace numérique.
Notre projet est gratuit et se déroule dans l’espace public. Il peut être parcouru et visité à toute heure de la journée. Il s’agit d’une sorte de jeu dans lequel sept personnes (ou plus) se rencontrent. À cela s’ajoute une fonction photo et on peut réaliser (après avoir activé la fonction vidéo) des petites vidéos pour Instagram, de sorte que cette expérience puisse créer une « résonance » en dehors de l’endroit où elle a lieu. J’ai l’espoir qu’avec ce projet, nous éveillerons la curiosité des gens.
En quoi la collaboration avec l’Orchestre de chambre de Stuttgart vous a-t-elle influencée ?
J’aime la musique classique ! J’ai moi-même joué du piano pendant plus de 15 ans. Je suis donc familière avec les grands noms (rires). J’ai fait des études d’économie, puis un deuxième cursus à la Filmakademie Baden-Württemberg, dans le domaine de la production cinématographique et médiatique.
Cette collaboration n’est possible que grâce à l’ouverture d’esprit de l’Orchestre de chambre de Stuttgart. Ce qui est intéressant et enrichissant, c’est la recherche de nos points d’intersection : nous apprenons beaucoup les uns des autres grâce à cette coopération. Notre running gag est ma remarque : « Markus, fais donc un peu plus de Carmina Burana », ça le fait toujours rire.
Comment se déroule exactement le projet Resonanz ?
Dans la rue, on peut retrouver au sol un grand floorgraphic de 140m2 réalisé par Marc Fornes. Cette sorte de « sticker » a deux fonctions : d’une part, il constitue un ancrage visuel pour les passants, d’autre part, il relie le niveau analogique au niveau numérique. Les sept bras de cette étoile sont des points de repère et représentent les sept instruments. Après avoir téléchargé l’application, il suffit de poser son téléphone portable sur un marqueur pour déclencher l’instrument correspondant. Il y a également une animation correspondante. Ce n’est que lorsqu’un deuxième passant se joint au « floor » que le deuxième instrument s’enclenche et que les deux participants voient deux animations. Il faut donc sept personnes pour entendre le concert complet. Chaque participant constitue un instrument, une voix. La musique change en fonction des mouvements des participants.
Avec ce projet, nous souhaitons souligner l’importance de la notion de communauté : ce n’est que lorsque nous jouons tous ensemble que quelque chose de merveilleux et de nouveau peut naître.
Ce projet est-il une expérience ou la découverte d’une composition ?
Si je regarde une animation, je ne vois que l’animation. Si je vais à un concert, je n’entends que la musique. Si je veux voir des gens, je vais dans un café. Ces trois composantes de l’art (art numérique, musique et rencontre), se retrouvent dans Resonanz.
J’aime les projets interdisciplinaires. Cela permet aux spécialistes et aux créateurs de voir plus loin que le bout de leur nez et de faire se rencontrer différents mondes. Resonanz n’est pas seulement une chance pour la médiation musicale, mais aussi une possibilité d’atteindre des groupes cibles plus jeunes.
Le projet Resonanz a débuté à Stuttgart cet été et part ensuite en voyage (Strasbourg, Sarrebruck). Quelles sont les villes prévues ?
Stuttgart fête ses 60 ans de jumelage avec Strasbourg. Comme notre projet avait, dès le départ, un caractère fédérateur, il s’intègre bien dans ces festivités.
L’Institut Français de Stuttgart a pu établir un contact avec la Maison européenne de l’Architecture – Rhin supérieur, afin que le projet puisse également être présenté à Strasbourg. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’une médiation musicale entre des élèves français et allemands, nous souhaitons également toucher un public adulte. Nous avons donc mis en place un programme de visites guidées, d’événements et de rencontres afin de créer d’autres possibilités de rencontre autour du projet.
L’expérience sera également présentée à Sarrebruck car j’ai une relation personnelle avec la Sarre. J’y ai grandi et je trouve la ville tout simplement géniale. De plus, nous menons actuellement des discussions avec d’autres pays, comme la Suisse, le Luxembourg et le Lichtenstein.
D’autre part, avec ce souhait de tournée, nous nous penchons également sur la question des ressources dans l’industrie culturelle. Souvent, les projets sont financés par des subventions, c’est-à-dire par l’argent des contribuables (à l’exception des sponsors privés ou des fondations). Les ressources financières étant parfois insuffisantes, je trouve que la mise à disposition de ce type de projet est importante. Les institutions culturelles devraient partager les matériaux/programmes élaborés afin de pouvoir mettre davantage l’accent sur la créativité à partir du budget limité dont elles disposent. Par conséquent, nous mettons Resonanz à la disposition de chaque ville ou pays à prix coûtant, ce dernier comportant les frais d’impression du floorgraphic et la prolongation (ou l’adaptation) de certains droits pour chaque pays.
Quels sont les défis auxquels les orchestres sont confrontés lorsqu’ils souhaitent travailler dans le domaine numérique ? Quelles sont vos expériences en la matière ?
Premièrement, il y a toujours les coûts, deuxièmement, la faisabilité. Troisièmement, cela dépend toujours du groupe cible. On peut toutefois constater que les théâtres et les musées sont un peu en avance sur les orchestres dans le domaine de la numérisation. Nous espérons bien sûr que cette coopération avec l’Orchestre de chambre de Stuttgart sensibilisera davantage d’autres orchestres aux projets numériques.
Un obstacle me semble être le soutien limité dans ce domaine : les théâtres et les musées peuvent désormais bénéficier de soutiens financiers pour des projets numériques, pour les orchestres, c’est encore difficile. La musique est, par définition, auditive et non visuelle. Établir un pont entre la musique et le travail audiovisuel n’est donc pas facile et constitue un défi pour les années à venir.
Un autre point est le coût des moyens techniques. Un orchestre ne joue souvent qu’une ou deux fois un programme de concert. J’ai déjà joué avec l’idée de construire un concert sous forme de réalité augmentée. Cependant, une paire de lunettes coûte déjà 500€. Pour deux mille spectateurs, nous arrivons à un prix total de 100.000€. A cela s’ajoutent les frais d’animation, les frais de production, etc… Personne ne peut dépenser 300.000€ pour une soirée !
Pourtant, la promotion dans le domaine de la musique classique est très importante car les nouveaux médias sont devenus un aspect important pour toucher un public plus jeune. Cela vaut la peine, à mon avis, de travailler davantage, et sur le long terme, avec des nouvelles formes.
Que souhaitez-vous pour la mise en œuvre et l’avenir de ce projet ?
J’aimerais voir des personnes très différentes prendre plaisir à participer à ce projet. Ce moment où des personnes étrangères se rencontrent, se connectent à l’application et y participent sera très enrichissant. Je souhaite que des liens se créent, que les participants rient ensemble et que l’on entende des phrases telles que : « Bonjour, je suis le violon. C’est toi la basse ? ».
J’aimerais que notre projet fasse le tour du monde. Que se passerait-il si une telle œuvre traversait différents pays et prenait place dans divers endroits ? Je peux imaginer l’inimaginable – et je m’en réjouis. Elle doit, comme un être vivant, grandir de manière organique. Ce qui nous définit, nous, les humains, ce sont nos expériences et nos souvenirs. Plus il y aura d’événements organisés autour de cette oeuvre, plus la possibilité d’établir des liens entre les gens sera grande.
Interview : j. lippmann
Traduction : C.Lefèvre
Le 23 juin 2022
Photo : SKO