C’est l’une des jeunes artistes les plus passionnantes du moment. Metteur en scène, chorégraphe et plasticienne, Gisèle Vienne construit un univers singulier et d’une grande puissance plastique, qui fouille nos angoisses et nos fantasmes. Elle est de retour dans le Rhin Supérieur avec deux spectacles: This is how you will disappear à la Kaserne Basel et Shoowroomdummies au Maillon.
La question de la beauté est un aspect essentiel de votre travail. Comment l’abordez-vous ?
Elle est abordée dans toutes ses contradictions. Dans This is how you will disappear, il est par exemple question des deux directions les plus fondamentales : la beauté de l’ordre et celle du désordre. Il y a d’abord le désir de perfection, puis une esthétique extrêmement romantique, très XIXe et qu’on retrouve aujourd’hui dans la culture liée au rock. Nous sommes tiraillées entre le désir de perfection et de chaos, entre beauté apollonienne et dionysiaque. Cette tension intérieure est un moteur essentiel.
« L’expérience physique peut modifier la pensée. »
Au questionnement répond aussi la forme, dans laquelle vous semblez aussi en quête de beauté…
On met littéralement en scène ces questionnements esthétiques, notre fascination, notre répulsion. Mais les pièces y échappent : on propose de vraies expériences physiques au spectateur. L’expérience physique peut modifier la pensée.
Les spectacles sont accessibles à des spectateurs de cultures très différentes. Ce sont des pièces complètes, où il y a travail très fort sur champ visuel, sonore, littéraire, qui tentent de suivre la veine du fantasme wagnérien du XIXe. On invite le spectateur à s’impliquer avec son histoire, avec ses fantasmes.
Extrait de Kindertotenlieder, présenté en 2013 au TJP à Strasbourg
Quelle est pour vous la fonction d’une scène de théâtre ?
J’ai l’impression que ce qu’on fait s’inscrit de plus en plus dans le rôle du théâtre dans ses formes les plus archaïques. La tragédie grecque est un catalogue de mises en scène de tous les interdits, tous nos désirs et inquiétudes, déployés de manière extrême. C’est important qu’il y ait des endroits dans notre société où l’on puisse s’y confronter. Probablement que je cherche cette fonction cathartique de l’expérience théâtrale. Le rôle des fantasmes et des fantômes qui nous hantent est le sujet central du théâtre et de mon travail en particulier. Je cherche à préserver la zone de liberté incroyable qu’est le champ de l’art, où les spectateurs peuvent dialoguer avec ce qui nous est le plus intime.
Quel rapport entretenez-vous au cinéma ?
On me pose souvent la question ; il y en a plusieurs. D’abord quelque chose de plastique, d’esthétique. Il y a un jeu, très réaliste, un rythme, qui donnent cette impression. Mais aussi quelque chose de plus étrange : on a conscience de la réalité et, en même temps, on est face à une image qui serait presque un écran. On me parle souvent de Lynch, mais les spectateurs trouvent mille références.
Il y a aussi le travail rythmique et chorégraphique. On pourrait appeler ça des effets spéciaux, cela ressemble à des mouvements retouchés. C’est quasiment du MTV, avec des perturbations rythmiques inspirés des effets spéciaux que permet la caméra. On reconstruit cette sensation de reverse, de saccadé, qui perturbe notre perception. Cela vient de ma formation de marionnettiste, de gestes stylisés.
Extraits de The Pyre, présenté au printemps 2014 au E-werk Freiburg, au Maillon Strasbourg et à la Kaserne Basel
« La marionnette est vraiment l’un des premiers outils du théâtre. »
Justement, comment en êtes-vous venus à travailler la marionnette ?
Cela vient de mon rapport d’artiste plasticienne à la scène. J’admire Robert Wilson, Jan Fabre, Romeo Castellucci, qui sont des plasticiens metteurs en scène. Et cette dimension est inhérente à la marionnette. Ce que je ne cherchais pas et que j’ai trouvé très heureusement, c’est ce rapport beaucoup plus archaïque au théâtre. On est là dans un objet qui est vraiment l’un des premiers outils du théâtre. Je suis allée à Séville pour la semaine sainte, et on sort encore les sculptures de Marie et de Jésus pour les balader à travers la ville. On est vraiment là aux origines du spectacle de marionnette. D’ailleurs le nom vient de là : c’est une petite sculpture de Marie.
Ce qui me touche aussi, c’est que c’est un art passablement déconsidéré. Il y a là quelque chose de déchu. Il a servi à représenter les dieux, mais c’est en même temps un objet pauvre, vulgaire, né à la fois dans les églises et les marchés. Ce n’est pas très intéressant de s’intéresser à un seul champ culturel, c’est l’articulation qui permet de comprendre les humains.
Propos recueillis par Sylvia Dubost
Photo : P. Chiha
En partenariat avec le magazine Zut!
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