Site icon szenik

Rencontre avec la Compagnie Les Méridiens : « Michelle, doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? »

Inspirée d’une histoire vraie, la pièce Michelle, doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? de Sylvain Levey présente les mécanismes d’un redoutable emballement virtuel. Interrogeant nos usages de réseaux sociaux et décortiquant notre rapport aux images, Laurent Crovella de la Compagnie Les Méridiens propose une mise en scène immersive et percutante.

Pouvez-vous nous présenter ce texte de Sylvain Levey sur lequel vous travaillez pour cette création ?

Michelle, doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? est une pièce de l’auteur contemporain Sylvain Levey. C’est un texte qui se base sur un fait-divers qui a lieu en 2014. Breanna Mitchell, une jeune américaine, part en voyage scolaire pour visiter le camp de concentration de Auschwitz. Portant un sweat rose et arborant un grand sourire, elle se prend en photo devant les portes du camp de concentration. Elle publie alors ce selfie avec un #Auschwitzday et un émoticône « BigLove ». Dès la publication de ce post, la toile va s’enflammer et cela fait un tel bad buzz que, de retour aux États-Unis, la jeune Breanna est invitée dans une émission de télévision durant laquelle le présentateur demandera à Breanna si c’était à refaire, est-ce qu’elle le referait, ce à quoi la jeune fille a répondu : oui ! Elle explique que son père, grand amateur d’Histoire, était mort peu avant ce voyage et ce selfie lui est adressé.

Sans porter de jugement, Sylvain Levey s’empare alors de ce fait-divers et présente, dans son texte, une jeune française prénommée Michelle qui, elle aussi, fait un selfie en arrivant devant le camp de concentration de Auschwitz. Ce texte invite à nous questionner sur nos usages des réseaux sociaux et sur la valeur des images. Poster un selfie à Auschwitz ou au Parc Astérix, est-ce la même chose ?

Quelle place occupe le public dans cette mise en scène ?

Nous ne voulions pas proposer un rapport frontal avec le public. Les spectateur·ices sont intégré·es dans un dispositif, au plus proche des personnages, comme des participant·es de l’histoire, plongé·es dans cette dynamique infernale des réseaux sociaux. Le public est alors immergé dans la multiplicité des lieux de cette histoire : la scénographie suggère l’ensemble de ces lieux, notamment grâce à la lumière. On peut y reconnaître des boîtes photos mais également les miradors du camp. En fonction des scènes, l’espace se modifie et les mêmes éléments de scénographie permettent de convoquer des espaces différents.

L’idée est que cette forme bi-frontale puisse à la fois être présentée sur des plateaux de théâtre mais également dans des lieux non-équipés comme des salles des fêtes et des gymnases afin de pouvoir toucher un grand nombre de spectateur·ices.

Photo : Chloé L.

Dans cette pièce, quel regard posez-vous sur les réseaux sociaux et notre rapport au virtuel ?

C’est avant tout un questionnement. Le titre de cette pièce est un questionnement en lui-même. Il ne s’agit pas d’établir une morale : c’est une pièce d’exposition. On y expose un cas concret, puisé dans le réel, afin de nous renvoyer, chacun·e d’entre nous, à nos usages des espaces virtuels.  

Les nouvelles technologies ne sont plus véritablement nouvelles, elles sont parfaitement bien intégrées aujourd’hui. Ce sont les raccourcis qu’elles créent qui mènent à des situations critiques. Par exemple, sur Twitter, la pensée est limitée par le nombre de caractère autorisé sur les publications. Et puis, sur internet, il est difficile de faire marche arrière : lorsque Michelle passe dans cette émission télévisée, elle affirme que « le temps efface à peu près tout ». Seulement, aujourd’hui, il est très simple de retrouver cette photo sur internet.

C’est également passionnant de pouvoir observer le rapport qu’ont les jeunes générations avec les réseaux sociaux : chaque génération à ses propres usages et je suis parfois fasciné par certains Tik-Tok et du sens de la mise en scène dont peuvent faire preuve certains jeunes sur cette plateforme. Ce sont aussi d’excellents espaces de créativité !

Photo : Chloé L.

Tout comme vos deux dernières mises en scène, cette pièce présente des adolescent·es et s’adresse à des adolescent·es. Pourquoi souhaitez-vous vous adresser à ce public dans votre pratique du théâtre ?

M’interroger sur et avec un public adolescent est, pour moi, comme une sorte d’obsession : qu’est-ce que l’on a à transmettre ? Cette transmission ne se fait pas dans un seul sens : je cherche également à ce que cette jeune génération me transmette ses pensées et ses représentations. Dans l’équipe du spectacle, il y a des comédien·nes d’âges très différents : c’est une grande richesse ! Au fil de la création, lorsque nous discutions des réseaux sociaux, j’ai remarqué que nous n’avions pas du tout les mêmes usages. Cela a nourrit nos propres réflexions pour la mise en scène de ce texte.

La pièce dépeint également les rapports, parfois conflictuels, entre des générations différentes. Qu’est-ce que cela apporte dans l’histoire ?  

Dans la pièce, on retrouve un groupe de jeunes gens qui gravite autour de Michelle, ce sont ces ami·es. D’autre part, il y a des professeurs et les parents de Michelle : d’un côté les jeunes, de l’autre, les vieux. L’appréhension de la problématique n’est pas du tout la même pour tout le monde. Par exemple, lorsque Michelle regarde par la fenêtre du bus en se disant qu’elle aimerait regarder le paysage, elle se fait automatiquement la réflexion que c’est un « truc de vieux ». La perception du monde passe, pour elle, davantage par le filtre d’un écran que par une expérience de la réalité. C’est en cela que les adultes et les plus jeunes s’opposent dans cette histoire.

Photo : Chloé L.

Qu’incarne le personnage Michelle dans cette histoire ?

J’avais entendu parlé du fait divers concernant Breanna Michell à la radio. Ma première réaction était de considérer cela comme un acte d’idiotie. Finalement, aujourd’hui, je suis beaucoup plus mesurée. Doit-on lui en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ? Je pense répondre « non » car cette histoire s’inscrit dans un contexte qui a totalement échappé à cette jeune fille.

Du 13 au 16 décembre 2022 au TAPS à Strasbourg
Le 30 mars 2023 à la M.A.C de Bischwiller
Les 04 et 06 avril 2023 à la Salle du Cercle à Bischheim
Le 20 avril 2023 à l’Espace Malraux de Geispolsheim

Interview : Chloé L.
Photos : Chloé L.

Quitter la version mobile