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Musique Action #38 : interview d’Hervé Birolini et Louis-Michel Marion pour « Hidden Artikulation »

Mettre la technologie au service d’une poésie sonore, c’est ce que propose Hervé Birolini et l’ensemble L’Archipel Nocturne avec Hidden Artikulation.

Pour sa nouvelle création, accompagné de l’ensemble L’Archipel Nocturne, le compositeur Hervé Birolini imagine une expérience sonore entre performance audiovisuelle, recherche instrumentale et dévoilement d’une poésie électro-acoustique.

Nous avons rencontré Hervé Birolini et Louis-Michel Marion (L’Archipel Nocturne) au CCAM – Scène nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy à l’occasion du festival Musique Action #38.

Photo : Arnaud Hussenot

Hidden Artikulation est une création qui rassemble plusieurs forces vives. Qui êtes-vous ? Quelles sont les origines de ce projet ?  

Louis-Michel Marion : Je suis Louis-Michel Marion. Je joue de la contrebasse et je dirige l’ensemble qui prend part à cette création : L’Archipel Nocturne. Cela fait de nombreuses années que nous travaillons ensemble avec Hervé Birolini et le travail que nous réalisons tourne autour de la partition graphique d’Artikulation, la pièce de György Ligeti.

La première pièce que nous avons créé autour de cette partition visait à remplacer tous les sons électroniques par de la contrebasse. Nous avons ensuite réalisé Exartikulations qui intègre une partie de la partition de Ligeti (avec des percussions et un instrument cinétique). Puis, avec l’ensemble de l’Archipel Nocturne, nous avons décidé de commander une pièce à Hervé Birolini. Nous avons fait le choix d’un ensemble composé d’une batterie, une guitare électrique, un saxophone et une contrebasse. À première vue, cela pourrait être un quatuor de jazz mais, en réalité, ce n’en ai pas du tout un, c’est comme un petit clin d’œil !

Hervé Birolini : Quant à moi, je suis compositeur ! À chaque fois que l’on me demande de réaliser une œuvre musicale, je ne peux pas m’empêcher de faire, certes, de la musique mais aussi de prendre en compte tout ce qu’il y a autour. Mon rôle en tant que compositeur est de faire la synthèse de plusieurs médias et de composer ces médias ensemble. Bien évidemment, je travaille le sonore, le musical (qui est un cas particulier du sonore) mais également la lumière, la vidéo et la scénographie.

Photo : Arnaud Hussenot

Comment a été pensé cette création sonore ?

Hervé Birolini : L’idée de cette pièce est de présenter des boîtes dans des boîtes, il n’y a pas de thématique unique. Je voulais avant tout travailler sur un langage : Ligeti est connu pour avoir réalisé de nombreuses œuvres instrumentales et a fait et a fait trois œuvres électronique qui lui ont permis de poser les bases d’un langage qui allait lui servir à composer, par la suite, de la musique instrumentale. J’avais envie de reprendre ce langage et de l’expérimenter afin de découvrir ce qu’il pouvait nous apporter dans le domaine de la musique électro-acoustique et expérimentale. À partir de cette partition d’écoute, que Rainer Wehinger a fait des dizaines d’années plus tard, j’en ai déduit la pièce Hidden Artikulation. C’est une sorte de passage de langage.

Dans Hidden Artikulation, vous utilisez des oscillateurs sur scène . Qu’est-ce ? Que représentent-ils ?

Hervé Birolini : L’oscillateur peut être considéré comme le premier instrument de l’histoire de la musique électronique ! Avant qu’il ait une fonction d’instrument dans une œuvre musicale, c’était un instrument de laboratoire. Il servait aux électroniciens à faire des tests de circuits et développer des concepts théoriques à partir de ce générateur. Il génère une seule onde : l’onde sinusoïdale ! C’est une sorte d’atome du son. Il produit un son très caractéristique dans la musique électronique : il est à la fois pur, transparent et très connoté « années 1950 ». Les oscillateurs que nous utilisons sur scène sont du même type que ceux que Ligeti lui-même a utilisés pour composer Artikulation en 1958.

Photo : Arnaud Hussenot

Quels rapports entretiennent les musiciens avec le dispositif numérique et électronique proposé sur scène ?

Louis-Michel Marion : Nous sommes complètement baignés dans le son et dans la lumière. Nous avons des écrans sur lesquels défilent nos partitions qui nous permettent de jouer à la fois de notre instrument mais également de l’oscillateur car, pour cette pièce, nous avons également dû apprendre à jouer avec des oscillateurs. Et puis, la pièce à cette particularité qui fait que, en tant que musiciens, sur scène, nous ne la voyons pas vraiment.

Hervé Birolini : Cela fait vingt ans que je pratique et défends ce que l’on appelle la musique acousmatique. C’est une musique qui reprend le rituel qu’avait instauré Pythagore quand il enseignait les mathématiques : il voulait que les concepts passent et que son image n’interfère pas sur son discours mathématique. Pour cela, il se cachait derrière un drap afin d’enseigner à ses élèves que l’on nommait alors des acousmates. Alors, le fait d’écouter une musique dont on ne voit pas la source et les musiciens s’appelle la musique acousmatique.

Avec mon travail, je suis partie à la recherche d’une solution mixte et je me suis posé une question simple : comment doit-on voir un musicien sur scène ? On pourrait se dire, par exemple, qu’un guitariste doit être vu plein feu avec un spot orange. Ce n’est pas vraiment ma vision de choses. J’ai envie que le musicien disparaisse, apparaisse, se fragmente, se distorde : il doit être à l’image de la représentation du son qu’il génère, à l’image de la pièce à laquelle il est intégré. J’ai donc opté pour des écran polymères qui sont des écrans opacifiants. Je donne alors des clés de lectures différentes en plaçant les musiciens derrière un écran qui est très changeant.

Louis-Michel Marion : Il est important de savoir que ces 72 carrés (et le logiciel qui les contrôle) ont été pensés et fabriqués par l’équipe de création d’Hidden Artikulation ! Notamment grâce à Mathieu Chamagne qui signe la vidéo interactive de la pièce.

Hervé Birolini : En fait, j’essaie de rendre visible des choses qui ne sont pas visibles. Lorsque que je me rends à un concert, j’aurai envie que les sentiments, les sons, les espaces et les musiciens eux-mêmes deviennent des sortes d’évènements luminescents de leur propre musique. Cela peut paraître présomptueux mais je m’efforce de donner aux musiciens la capacité, avec leurs expressions, de donner à voir ce qu’ils nous proposent à entendre.

Photo : Arnaud Hussenot

Hidden Artikulation : une porte ouverte sur un laboratoire sonore ou expérience musicale et poétique ?

Hervé Birolini : C’est exactement les deux en même temps ! C’est une vision poétique de ce qu’aurait pu être le laboratoire de Ligeti lorsqu’il a construit Artikulation. Cette pièce ne rend pas hommage à la virtuosité des musiciens en soi car ce que je leur demande de faire ne met pas en avant leur qualité (ils sont capables de faire des choses techniquement plus avancées). Là, je leur demande, d’une certaine manière, de devenir des oscillateurs, je les amène à produire des choses très simples : faire des accords, se combiner, changer l’ordre de la combinaison tout en restant attentif à ce que tout le monde puisse garder un potentiel d’expression. L’oscillateur est la brique de base que l’on trouve dans les synthétiseurs et, généralement, on le combine à un (ou plusieurs) autres oscillateurs pour créer un timbre plus complexe : c’est l’idée de cette synthèse additive que l’on expérimente sur scène.

Louis-Michel Marion : C’est vrai, parfois, sur certaines parties de la pièce, je dois juste jouer une note tenue et ce n’est, techniquement, pas pleinement intéressant. Mais c’est comme ça que l’on prend conscience que l’on est là pour faire partie d’un tout cohérent !

Interview réalisée le 24 mai 2022 au CCAM – Scène nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy
Interview : Chloé Lefèvre
Photo : Arnaud Hussenot

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