Site icon szenik

Kunstenfestivaldesarts 2021 : une édition estivale et un hommage à Frie Leysen

Plus que jamais, le festival se construit en dialogue direct avec Bruxelles et ses citoyens : la ville en tant qu’espace non homogène est au cœur de cette édition, avec des œuvres commandées à des artistes qui y vivent ou qui la regardent de loin.

Communiqué de presse

Le festival a invité le musicien Chassol à créer une nouvelle performance et un album à Bruxelles, inspirés par la ville et sa vocalité multilingue et polyphonique. Chassol est connu dans le monde entier pour la révolution qu’il a déclenchée dans le jazz contemporain, ainsi que pour des collaborations du calibre de Frank Ocean ou Solange. Sa méthode de composition harmonise les dialogues et les enregistrements en les transformant en compositions musicales hypnotiques. Ces derniers mois, il s’est rendu régulièrement à Bruxelles pour entrer en contact avec des musiciens locaux, de la soprano Alice Foccroulle au rappeur Martha Da’ro, afin de créer un portrait musical de la ville en temps de pandémie. Réalisé en collaboration avec l’AB, Chou est une expérience impressionnante, et le noyau de la future tournée Chassol, qui portera le son de notre ville à travers le monde.

Le metteur en scène argentin Mariano Pensotti est de retour au festival avec un nouveau projet entièrement produit et tourné à Bruxelles. Construit entre cinéma et expérience en direct, Le public / Het publiek dresse le portrait de la ville à travers l’histoire de six spectateur·ices fictifs·ves dans les 24 heures qui suivent une représentation. À travers eux·elles, nous faisons l’expérience de la ville, et de l’influence qu’une pièce de théâtre exerce sur eux·elles. Coproduit avec le Théâtre des MartyrsLe public / Het publiek est un chef-d’œuvre impressionnant et une ode puissante qui nous rappelle que sans public, il ne peut y avoir d’arts de la scène.

Chassol – Chou © monsieurandrée

Le portrait de Bruxelles vise également à valoriser des savoirs souvent invisibles et la richesse de leur complexité. Dans la lignée de l’expérience de la Free School de ces dernières années et de l’accent mis sur la transmission du savoir, cette édition voit la ville comme une école étendue. Sara Vanhee présente bodies of knowledge, une école horizontale logée dans une tente nomade, construite en collaboration avec deux écoles bruxelloises et un certain nombre de citoyen·nes.

Devant le McDonald’s de la place de la Bourse, Akira Takayama présente McDonald’s Radio University : une série de cours donnés par des personnes ayant récemment émigré à Bruxelles. Un projet central de cette édition est Zone de Troc, de l’artiste bruxelloise Pélagie Gbaguidi. Un ancien salon de coiffure de la place Sainte-Catherine est transformé en une zone de troc où l’on peut échanger des objets et récits dont on n’a plus besoin avec ceux que d’autres possèdent ou portent en elles·eux. Construit en collaboration avec une constellation d’organisations (CENTRALE, Globe Aroma, Fars Coiffure, CIFAS), Zone de Troc ouvre un espace temporaire de soins en temps de pandémie, où imaginer de nouvelles formes de survie économique, et où le troc devient une opportunité de rencontrer d’autres personnes que nous ne connaissons pas.

Faye Driscoll-TYFC_Space © Maria_Baranova

Un engagement accru en faveur de la scène locale

Pour cette édition, et après cette année difficile, le festival a décidé de renforcer son attention et son soutien à la scène locale, et aux artistes basé·es dans notre ville. Dans un réseau étendu de collaborations avec des institutions francophones et flamandes, le festival coproduit et présente Radouan Mriziga au Kaaitheater, Léa Drouet à Charleroi Danse, Adéline Rosenstein aux Halles de Schaerbeek, Jaha Koo au Théâtre des Tanneurs ; et Hamza Halloubi et Sara Sejin Chang avec une double exposition à ARGOS. Par la diversité de leurs pratiques, ils·elles constituent le meilleur exemple d’un portrait possible de Bruxelles.

La scène artistique bruxelloise a souvent été décrite comme un réseau d’échanges formels et informels, de collaborations et de pollinisation croisée. La pandémie a contraint les processus artistiques à s’isoler davantage, et pour cette édition, le festival a décidé d’ouvrir une résidence artistique temporaire et partagée. Pendant dix jours, quatre artistes – dont trois sont basé·es à Bruxelles – travaillent dans quatre espaces du Kaaistudio’s. Dina Mimi, Salvatore Calcagno, Roland Gunst et Nikima Jagudajev. Les deux derniers jours, une ouverture publique est organisée pour partager cette recherche en cours. The School of Contamination ouvre la voie à une autre forme de « contamination », à son importance au sein de la scène artistique et à son avenir.

Edouard Louis &Milo Rau-The Interrogation ©BelgaImage_AFP_Joel Saget

Entre Bruxelles et le monde : en ligne

C’est en collaboration avec Milo Rau qu’Edouard Louis crée et écrit aujourd’hui une nouvelle pièce, qu’il interprète lui-même sur scène. Les deux artistes imaginent The Interrogation, un spectacle solo qui explore la frontière ténue entre agir, vivre et survivre, et nous confronte, de manière directe mais délicate, à une avalanche de questions : quelle position occupons-nous dans la société d’aujourd’hui ? Cette collaboration unique, née pour le festival, est conçue pour être également diffusée en direct chaque soir en ligne, dans une expérience live qui devient accessible simultanément à Bruxelles et ailleurs.

Partant de l’histoire de Mado, sa grand-mère, Léa Drouet nous entraîne dans sa nouvelle création, Violences. Plutôt que de dépeindre directement la violence, elle décrit les circonstances dans lesquelles la violence devient légitime. Ce spectacle, une coproduction avec Charleroi Danse, est visible dans l’auditorium de La Raffinerie, mais peut également être suivi en direct depuis votre salon chaque soir.

Kornél Mundruczo & Kata Wéber-Pieces of a woman © Natalia Kabanow

Pour Pieces of a WomanKata Wéber a écrit un texte émouvant et acéré sur la culpabilité et la manière d’y résister. Avec le metteur en scène de théâtre Kornél Mundruczó, elle nous accueille dans une maison familiale, habitée par un groupe exceptionnel d’acteurs et d’actrices polonais·es. Après son succès à Hollywood, où ils ont réalisé un remake américain du même projet pour Netflix, ils créent une capture cinématographique de la performance spécialement pour le festival. Elle sera présentée dans le théâtre en ligne.

The Living and The Dead Ensemble est un groupe d’artistes, de performeur·euses et de poètes·esses d’Haïti. Ensemble, ils·elles ont créé The Wake, une performance qui reconstruit une géographie fragmentée avec des histoires intimes, des fables, des cris de rébellion et des chansons. La performance peut être vue en direct à Zinnema et ils·elles ont également développé une vidéo de la performance qui fusionne leur présence physique avec des extraits de films impressionnants.

Après l’expérience positive de The Diasporic Schools, où nous avions développé un pro- gramme en ligne avec des ateliers et des moments discursifs tout au long du mois d’octobre 2020, pour la prochaine édition, nous continuerons à mettre en ligne la partie discursive de notre programme. Dans Stream Of Thoughts, nous accueillons plusieurs invité·es de premier plan, de Saidiya Hartman à Rolando Vasquez, qui aborderont des sujets tels que le colonialisme, la (r)évolution, et la contamination. Un programme complet en ligne à suivre sans être physiquement présent à Bruxelles. La distance peut aussi devenir une proximité, ne pas seulement constituer une fracture, mais aussi un lieu où résister ensemble.

The Living and the Dead Ensemble – The Wake

En plein air

Pour la première fois, le festival aura pour cadre une piscine. Il soutient Pool is Cool et Decoratelier pour réaliser le rêve de beaucoup de gens en construisant une piscine en plein air sur le quai de Biestebroeck, qui restera ouverte tout l’été. La piscine devient aussi le point de départ d’une nouvelle œuvre commandée à Lina Lapelytė – lauréate du dernier Lion d’or de la Biennale de Venise. Ces derniers mois, elle a travaillé à Bruxelles sur un nouveau projet, développé avec des chœurs et des participant·es locaux·ales, et réfléchissant à la politique des espaces de loisirs. Une œuvre artistique sur Bruxelles, à déguster au bord de la piscine ou immergé dans l’eau.

Avec sa nouvelle création, la chorégraphe Amanda Piña nous rappelle qu’une frontière n’est pas seulement une barrière géographique mais qu’elle est aussi physiquement présente dans nos corps. Grâce à une chorégraphie sans frontières dans laquelle résonnent non seulement la culture hip-hop mais aussi les histoires coloniales, les pratiques indigènes et le mysticisme, elle fait une déclaration puissante dans l’espace extérieur d’exception du Vaux-Hall.

Romeo Castellucci-Buster © Stephan Glagla

Buster, la nouvelle création de Romeo Castellucci, a pour cadre l’Esplanade de la Cité administrative. Une place déserte avec la ville en toile de fond, située entre le siège de la police fédérale et la cathédrale Saint-Michel et Sainte-Gudule. Quarante acteurs suivent les ordres qui leur sont communiqués en direct par des écouteurs. Un spectacle sur la loi et la violence, la comédie, et sur le rôle des acteurs qui prêtent leur corps à des actions qui ne sont pas les leurs.

Après aCORdo et CRIAAlice Ripoll vient pour la troisième fois au Kunstenfestivaldesarts pour présenter LAVAGEM en première dans la cour de Decoratelier. Avec des seaux, de l’eau, du savon et de la mousse, ses danseur·euses explorent l’acte de nettoyage comme un geste performatif et politique. Leurs mères, leurs grands-mères et leurs ancêtres ont travaillé comme femmes de ménage toute leur vie, mais cela n’a pas empêché la caste blanche dominante de considérer les Noir·es comme étant sales. Pour Ripoll, cette étude de la « propreté » devient également une enquête sur les identités qui sont accaparées afin d’accomplir certaines tâches essentielles dans notre société.

Alice Rippoll-LAVAGEM © Renato Mangolin

Pallier à la distance par la voix : radio, projets sonores et installations

Adeline Rosenstein conçoit un projet d’enquête radiophonique, qui se déroule aux Halles de Schaerbeek ou s’écoute à son domicile, à travers les fréquences de Radio Panik et Radio Campus, plaçant ainsi son travail dans la continuité de ces derniers mois, où bon nombres de personnes ont été contraintes de partager des expériences à distance.

Dans l’espace du Kaaitheater, Suite n°de Joris Lacoste et ICTUS est présentée pour la première fois à Bruxelles comme une installation immersive qui génère un théâtre sans corps par la présence de voix. 

Walid Raad crée pour la Maison des Arts une exposition faite d’œuvres visuelles impressionnantes et de récits : une partition sonore où la voix de l’artiste guide les visiteur·euses à travers les pièces du bâtiment et les histoires du Moyen-Orient.

Walid Raad-We can make rain but no one came to ask© Walid Raad

Avec OutrarLia Rodrigues utilise la voix pour décrire des chorégraphies qui peuvent voyager d’un corps à l’autre, de Rio de Janeiro à Bruxelles, au-delà des limites de la mobilité internationale.

Enfin, l’artiste japonais Araki Masamitsu est présenté pour la première fois au festival avec un projet à La Balsamine, qui accompagne les spectateur·ices dans une performance sonore capable de transformer l’espace dans les rues de Tokyo.

Ayaka Nakama-Freeway Dance © Hideto Maezawa

Danse : des souvenirs à la réalité

Dans le cadre du festival, l’artiste japonaise Ayaka Nakama présente une chorégraphie dans laquelle elle danse à travers les souvenirs des spectateur·ices. Le solo de danse Tafukt de Radouan Mriziga est le premier volet d’une trilogie portant sur la sémantique et les mythologies du peuple Imazigh. Nadia Beugré chorégraphie cinq danseurs masculins qui tournent le dos au public. Par l’utilisation emphatique des fesses, elle remet en question ce qui est généralement considéré comme masculin.

Okwui Okpokwasili recrée son légendaire spectacle Bronx Gothic avec l’interprète Wanjiru Kamuyu. Inspirées d’un échange de lettres entre deux jeunes filles, elles parlent de corps en transformation et des énergies qui l’accompagne : l’amour, l’aliénation et la peur. Après une année au cours de laquelle la danse a pu être davantage un souvenir qu’une réalité, nous allons à nouveau bouger et résonner ensemble. Même depuis nos chaises.

Korakrit Arunanondchai -No History in a Room Filled with Peopke with Funny Names © Korakrit Arunanondchai

Une édition estivale

Dans Thank you for coming: Space, l’artiste américaine Faye Driscoll questionne la communauté qui se crée lors d’une performance et réinvente les relations entre les inter- prètes et le public. Pour le festival, elle retravaille ce projet dans une version à l’épreuve du Covid et renforce en même temps le pouvoir de la chorégraphie comme tension entre la proximité physique et la relation à distance.

Avec Four Days in September (The Missing Comrade) สี่วันในเดือนกันยา, le créateur de théâtre thaïlandais Wichaya Artamat revient au festival avec une pièce quasi cinématographique qui explore trente ans d’histoire de la Thaïlande en l’espace de quatre jours. La pièce commence par un groupe d’ami·es qui se réunissent en septembre 1990 pour fêter l’anniversaire d’un vieux ventilateur de plafond.

Dans The Invisible AdventureMarcus Lindeen entrelace trois histoires en une seule conversation qui traite du caractère éphémère de notre identité. Une expérience théâtrale particulière portée par trois interprètes puissant·es, présentée au Théâtre Varia. Sur la scène de Zinnema, six danseur·euses créent des images instables dans une chorégraphie conjointe de Marcela Levi et Lucía RussogrrRoUNd est un reflet de la situation politique au Brésil, où la pandémie de Covid-19 a plongé la société dans l’incertitude totale. 

Pool is Cool – Biestebroeck © Mathias Claes

Nacera Belaza, dans une coproduction avec Charleroi Danse, modèle avec soin une chorégraphie sophistiquée dans L’Onde, dans laquelle elle met en relation des éléments de la danse traditionnelle algérienne avec le concept d’« infini ».

L’artiste Jaha Koo explore l’influence occidentale sur la Corée et la façon dont le passé irréversible dépose son empreinte sur l’avenir. Il présente une trilogie complète. Pendant les intervalles entre les représentations, nous pouvons profiter de l’exquise tradition culinaire coréenne. Et Lina Lapélyté a créé une performance musicale en collaboration avec Decoratelier pour l’inauguration de la piscine en plein air d’Anderlecht.

Marcus Lindeen-L’Aventure invisible © Maya Legos

Frie Leysen 1950 – 2020

Cette année, le festival s’ouvrira sur une journée vide : une journée dédiée à Frie Leysen, décédée l’automne dernier. Initiatrice du Kunstenfestivaldesarts en 1994, elle avait réussi à réunir le secteur artistique francophone et flamand bruxellois dans un festival interna- tional. Elle défendait le besoin, pour la création artistique, de pouvoir oser et de pouvoir déplaire au public. L’acuité de sa présence ont transformé le paysage culturel, et sont une inspiration tant ici qu’ailleurs, tant pour ses collègues que pour une génération à venir. Sans elle, le monde du théâtre ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, et il ne sera plus jamais pareil maintenant qu’elle n’est plus là. Cette journée est une tentative de rendre tangible ce vide incommensurable.

Ensemble, le Kunstenfestivaldesarts et deSingel – créé par Frie en 1980 – lanceront ce jour-là une bourse destinée aux artistes émergents. Elle portera à la fois son nom et son esprit, qui était de toujours regarder vers l’avenir plutôt que de célébrer le passé. Nombre d’entre nous s’en souviennent, Frie aimait se définir comme un trait d’union : entre des artistes avides de partage et le public ; entre les con- textes artistique et géographique ; avec une ville. L’esprit de contamination qui anime cette édition lui est dédié. Frie, tu vas nous manquer.

Informations pratiques

Photo : Renato Mangolin

Quitter la version mobile