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« La Taïga court » de Sonia Chiambretto : Rencontre avec Antoine Hespel, élève metteur en scène du Groupe 46 de l’École du TNS

Du 04 au 09 novembre 2022, 4 élèves metteur·ses en scène de l’École du TNS s’attaquent au même texte : La Taïga court de Sonia Chiambretto. Au fil de témoignages recueillis auprès de réfugiés climatiques, La Taïga court affronte, avec poésie, les conséquences de la catastrophe écologique dont nous sommes témoins.

Sonia Chiambretto explore dans ce texte à la structure éclatée la question du dérèglement climatique en des territoires aussi divers qu’une salle de bain, les montagnes de la Chine centrale ou une église des États-Unis et met en jeu des matières aussi hétérogènes que des définitions empruntées aux gestionnaires des crises, des listes de tempêtes, des pictogrammes ou des témoignages. Une question centrale traverse le texte : « Où sont-elles·ils les éco-réfugié·es, les déplacé·es, les réfugié·es climatiques ? »

Cette semaine, nous avons rencontré Antoine Hespel, élève metteur en scène du Groupe 46, qui nous a renseigné sur les questionnements qui parcourent ce texte passionnant et nous a dévoilé les tenants de sa proposition scénique : première cérémonie.

Quatre élèves metteur·ses en scène des Groupes 46 et 47 de l’École du TNS ont reçu le même texte : c’est un projet hybride entre les deux promotions. Il s’agit de proposer quatre mises en scène différentes du texte en le respectant au maximum.

En ce qui concerne le texte, il s’agit donc de La Taïga court de Sonia Chiambretto. Elle l’a écrit il y a une dizaine d’années pour un spectacle de Rachid Ouramdane. Ce texte s’inscrivait dans un contexte politique et climatique particulier en Chine à cette période. C’est un texte qui traite du réchauffement climatique tout en y apposant une certaine distance. Aujourd’hui, il résonne un peu différemment. On a reçu une première version du texte qui a, par la suite, était augmenté à la demande de Stanislas Nordey afin que l’on puisse le travailler au TNS. Sonia Chiambretto a alors ajouté un chapitre et quelques éléments du texte à la suite d’échanges que l’on a eu avec elle. Elle s’est notamment inspirée de nos perceptions pour alimenter cette nouvelle version.

Sonia Chiambretto travaille beaucoup à partir de témoignages, de faits réels, de rencontres sans pour autant plonger dans les vécus des personnes qui témoignent. Il s’agit de recueillir des éléments factuels et de les retranscrire dans un texte de théâtre. La Taïga court se divise en quatre parties qui prennent place à différents endroits du monde et qui s’enchaînent sans véritables transitions. Quand on lit ce texte, on est invité à une double lecture : le texte présente des pictogrammes et il y a un véritable travail architectural dans la mise en page. Cela permet clairement d’explorer une autre grille de lecture.

Tout d’abord, les textes de Sonia Chiambretto ont toujours une écriture très rythmique. Tout n’est pas narré et cela ouvre des portes pour une potentielle mise en scène. Ce texte présente notamment des listes, des propos très percutants, des notes de bas de pages qu’il faut prendre comme tels et qui sont des formats plutôt inédits à travailler au théâtre. Par exemple, dans la première version du texte, au milieu du chapitre concernant les ouragans, un astérisque renvoie à une note de bas de page qui est une longue liste de noms d’ouragans. J’ai voulu faire quelque chose de scénique avec cette liste. J’ai donc voulu faire défiler, sur scène, des incarnations de ces ouragans.

C’est également un texte que je trouve drôle et c’est notamment cet aspect humoristique qui m’a interrogé pour la mise en scène : il permet de questionner le regard que l’on pose sur cette situation d’urgence climatique.

La question des réfugiés climatiques ponctue le texte et on se retrouve face à une longue liste de plusieurs témoignages de personnes qui ont vécu une forme de dérèglement naturel. Ces témoignages sont présentés comme étant filmés et diffusés. Ce rapport au témoignage invite à se questionner sur notre rôle de spectateur·ice face à ce type de situation. Pour la mise en scène de première cérémonie, on a étendu l’idée de la caméra comme filtre en présentant ces témoignages sous une forme télévisée, le public prend donc place sur des canapés et assiste à la catastrophe.

Il est important pour nous de ne pas oublier que nous montons ce spectacle en tant qu’occidentaux qui se retrouvent face à des témoignages de dérèglements climatiques qui ont lieu à l’autre du bout du monde. On regarde cela de loin et, malgré le fait que l’on peut se documenter, nous n’avons pas la légitimité de se poser en tant que personnes qui ont vécu cette catastrophe. Cependant, nous avons la charge de témoignages bruts qui traitent de cela. Se pose alors la question du filtre que l’on appose sur ces récits. Plutôt que d’essayer de créer de l’émotion à partir de récits de vie dont on pourrait s’emparer, on a plutôt choisi de mettre les témoignages au plateau en s’interrogeant nous-même sur la manière avec laquelle nous regardons cela et comment nous restons inactifs. C’est une remise en question de nous-même.

En installant les spectateur·ices dans la reconstitution d’un salon permet de créer une espace de sécurité, comme un cocon confortable dans lequel on se sent inatteignable. L’idée est de parvenir à briser cet espace. On montre des situations critiques jusqu’à mettre le public lui-même dans une situation critique. C’est une véritable expérience de théâtre !

Oui, j’ai choisi de présenter le texte comme une cérémonie. C’est notre fil rouge ! Pour décider d’un espace pour mettre en scène ce texte, il fallait trouver un lien entre les différentes parties. Dans notre volonté de questionner notre rapport très occidental à la crise climatique est venue l’idée d’interroger cette tendance à lancer des grands évènements de soutien, de grandes cérémonies télévisées alors que la réalité est tout autre. On cherche en quelque sorte à critiquer une certaine décadence, une prétention occidentale à vouloir tout résoudre.

Il y a tout d’abord des canapés sur lesquels le public est invité à s’asseoir confortablement. On a voulu recréer des petits îlots à la manière de différents petits salons avec des univers différents. En face de ces petits salons, le plateau est quasiment nu. Au fond, on y a installé un mur de plaques de tôles perforées. En jouant avec la lumière, ce mur peut donc devenir opaque ou complètement transparent.

C’est un questionnement très complexe car nous nous emparons d’une thématique pour laquelle nous avons une véritable responsabilité. Il est évident que nous devons nous poser la question de nos propres fonctionnements. Le spectacle, et notamment la scénographie, doivent respecter au maximum nos convictions écologiques et il y a une volonté du TNS à s’ouvrir sur ces questions-là en réduisant notre consommation énergétique. On favorise grandement la récupération également. C’est important de se poser ces questions car on a des convictions et on ne peut pas incarner ce que l’on dénonce.

Je trouve cela délicat de s’emparer de ces questions au théâtre. On doit avoir une précaution et une forme de délicatesse lorsque l’on évoque un sujet urgent, avec une gravité, tout en gardant la finesse, la poésie et le sens artistique du théâtre. Il est important de partir de son point de vue en prenant conscience, avec humilité, du rôle que nous jouons individuellement, on ne peut pas avoir la prétention de faire un spectacle qui règle le problème de cette catastrophe écologique.

« La Taïga court » de Sonia Chiambretto
Du 4 au 9 novembre 2022


Anti-atlas mise en scène Ivan Màrquez | TNS | Durée : 1h30
Ven, Mar, Mer 19h | Sam 12h et 19h | Dim 12h et 17h

Image(s) de terre – mise en scène Mathilde Waeber | TNS | Durée : 1h45
Ven, Sam, Mar, Mer 21h | Dim 15h

première cérémonie – mise en scène Antoine Hespel | Espace Grüber | Durée : 1h15
Ven, Mar, Mer 12h30 et 19h | Sam 12h et 16h30 | Dim 12h et 17h

Bleu béton – mise en scène Timothée Israël | Espace Grüber | Durée : 1h15
Ven, Mar, Mer 21h | Sam 14h30 | Dim 15h

Plus d’informations : www.tns.fr

Interview réalisée le 31 octobre 2022 à Strasbourg
Interview : Chloé L.
Photos : Jean-Louis Fernandez

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