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Interview : « Cœur instamment dénudé » par Lazare au Théâtre National de Strasbourg

Du 11 au 22 janvier 2022, le metteur en scène Lazare présente sa nouvelle création sur la scène du Théâtre National de Strasbourg. Réinventant le mythe de Cupidon et Psyché, Cœur instamment dénudé questionne le désir, l’impalpable et toute l’histoire de nos représentations.

Dans Cœur instamment dénudé vous vous réappropriez le mythe de Psyché. Quel est-il ? Pourquoi avoir choisi cette figure de la mythologie ?

Lazare : Il s’agit plus précisément du mythe de Cupidon et Psyché raconté pour la première fois par Apulée dans Les métamorphoses ou l’âge d’or.  La pièce ne retrace pas l’ensemble du conte mais je me suis attaché à suivre l’évolution d’un être qui grandit et va chercher à obtenir la vérité. Psyché, c’est l’histoire de quelqu’un qui souhaite voir le visage de l’amour et le brûler par accident.  Elle devra surmonter ensuite un grand nombre d’épreuves, des embuches posées par Vénus, sa terrible belle-mère.

Vénus est à la recherche de l’éternelle beauté. Elle trouve Psyché trop belle et décide de la faire disparaître. Elle fait donc appel à un oracle (représenté dans la pièce comme un homme de théâtre) pour dire à sa famille qu’il faut jeter Psyché de la falaise. Vénus fait également appel à Cupidon qui va finir par tomber amoureux de Psyché. Cupidon appelle alors Zéphyr pour lui venir en aide. Ce dernier lui conseille de se rendre invisible. Zéphyr amène alors Psyché au fameux palais de l’Amour qui, dans Cœur instamment dénudé, n’est pas épargné par les nouvelles technologies.

Dans cette pièce, je me suis permis quelques décalages. L’éternelle beauté tant recherchée par Vénus fait plutôt référence à l’éternelle mémoire. Elle cherche à rester dans la mémoire des Hommes comme idole. Le personnage de Psyché, dans le mythe d’Apulée, est une jeune femme naïve. Notre pièce la présente comme un personnage kafkaïen dans le sens où elle rencontre des difficultés relationnelles et ne veut pas se laisser corrompre. Elle pense énormément, et cela fait directement référence à son nom : Psyché.

Jean-Louis Fernandez (photo de répétition)

Cœur instamment dénudé semble alors adopter un point de vue contemporain vis-à-vis du mythe de Cupidon et Psyché. Que dévoile le lien qui se crée entre Psyché et Cupidon ?

Sur ce point, je souhaiterais revenir sur l’invisibilité de Cupidon lorsque Psyché est amenée au « palais sensuel ». La nuit tombe et Cupidon peut observer Psyché sans qu’elle ne le sache. Cela pose une véritable question sur les archétypes qui construisent notre société.  Est-ce que ça dévoile un fantasme de jeune fille d’être amené au « palais sensuel » ou est-ce Cupidon qui est un fantasme (car il est Amour) ? Ou alors, le mythe permet-il de relever une construction patriarcale de nos représentations ?

Cupidon représente la pulsion et Psyché relève plutôt de l’inconscient : elle est le palais de l’âme. Ce sont les deux figures emblématiques du mythe et les réduire à un rapport explicatif de la question du consentement serait un peu faux et manichéen. Cependant, si Cupidon n’était pas un dieu mais un homme, là la question serait essentielle. Il s’agit d’un moment important du mythe et donc de la pièce qui incarne une réalité problématique. Dans Cœur instamment dénudé, je cherche simplement à amener un questionnement, sans proposer de solution ou de réponse particulière, mais plutôt d’ouvrir une problématique partagée par l’expérience sensible du plateau.

Y-a-t-il un intérêt particulier à l’utilisation des thèmes et des lieux communs de la mythologie au théâtre ?

L’utilisation de thèmes mythologiques dans une dramaturgie permet de mener une réflexion sur ce qui fonde nos sociétés, ce à quoi on se réfère et la manière dont on pense et fabrique nos images.

Encore une fois, l’invisibilité de Cupidon a son importance. Selon moi, l’invisibilité incarne tout ce à quoi nous assistons aujourd’hui : tous ces rapports de pouvoir que l’on ne peut plus saisir. On ne sait plus qui détient les choses, les actionnaires sont invisibles, ils sont inconnus et tout devient alors immatériel. Par exemple, aujourd’hui, on peut faire beaucoup de mal (ou beaucoup de bien) tout en étant invisible, notamment avec un téléphone. Ainsi, représenter des dieux sur scène permet, en partie, de faire s’incarner cette invisibilité du pouvoir.

C’était intéressant pour moi, en tant qu’auteur contemporain, d’évoquer un motif qui préexiste dans l’imaginaire collectif. Les gens connaissent déjà plus ou moins les personnages et peuvent alors plus aisément saisir ce qui se passe sur scène.

La notion de désir semble être quasi-centrale dans cette pièce. Comment parvenez-vous à amener cette notion sur scène ? En quoi se rapporte-t-elle à des thématiques contemporaines ?

Selon moi, le désir est directement lié au travail que je fais sur la poésie. En effet, la rythmique et le langage ramènent à un souffle particulier qui relie à cette notion de désir. C’est pourquoi je travaille beaucoup en vers. Je travaille chaque mot afin d’être au plus près du souffle des acteurs. Le chant ouvre également à une forme de désir, qui peut parfois être métaphysique. L’invisibilité de Cupidon dévoile également quelque chose qui relève du désir. Le personnage et tout ce qu’il incarne deviennent alors insaisissable et paradoxal.

Ainsi, dans la pièce, cette notion de désir n’a pas un sens unique : elle dévoile plusieurs dimensions. Si on réduit la notion à un simple fait de la narration, on se retrouve à faire un théâtre trop explicatif : ce n’est pas ce que je souhaite. Il s’agirait plus de faire apparaitre les ambivalences et les problématiques qu’elle soulève.

Jean-Louis Fernandez (photo de répétition)

Vous semblez avoir une attirance particulière pour la poésie et elle fait partie intégrante de votre théâtre, qu’en est-il dans Cœur instamment dénudé ?

Tout d’abord, le titre Cœur instamment dénudé est inspiré d’un ensemble de réflexions de Charles Baudelaire qu’il nomma Mon cœur mis à nu. La poésie est une de mes principales sources d’inspiration. Personnellement, je fais de la poésie pour essayer de ne pas être médiocre. Du point de vue de la forme, elle amène une complexité qui permet d’aller au-delà d’un théâtre explicatif. Elle permet de présenter un théâtre qui relève de l’aura.

J’ai écrit la pièce pendant le confinement. C’était une véritable période de recueillement : un recueillement du temps et un recueillement de soi. Cela m’a donc permis de récupérer quelque chose qui relève de de la psyché, de l’âme.

De plus, la poésie est liée à une rythmique. Je me suis notamment inspirée, dans certaines parties de la pièce, de la rythmique de la poétesse russe Marina Tsvetaieva (qui se prenait d’ailleurs pour Psyché).  

La poésie est, pour moi, un foyer qui me permet d’accéder à d’autres dimensions, une sorte de voile d’illusion qui permet de tenir une vie qui peut parfois être insupportable.

À quoi le public peut-il s’attendre en termes de scénographie et de mise en scène pour ce spectacle ?

Concernant la scénographie, imaginée en collaboration avec Olivier Brichet, on a joué sur des rapports de hauteurs entre le Palais Sensuel, la cité de Psyché et les enfers. On cherche également à faire s’incarner la destruction et à représenter ce qui peut rester après un chaos.  Nous avons proposé à l’orchestre des jeunes de Strasbourg de nous rejoindre pour accompagner ce moment de la chute de Cupidon. Mais je n’en dis pas plus…

Interview réalisée le mercredi 5 janvier 2022
Interview : Chloé Lefèvre
Photo : Jean-Louis Fernandez

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